Zola et Manet à la bibliothèque
Notre désormais traditionnelle animation de fin d'année où se mêlent les mots et les images a fait se rencontrer mardi 11 juin Émile Zola et Édouard Manet.
Le premier dans son roman l'Œuvre met en scène Claude Lantier venu de la série des Rougon Macquart et fils de Gervaise, héroïne de L'Assommoir ; il est peintre et veut par ses tableaux s'opposer à la peinture bourgeoise et aux côtés de ses amis impressionnistes donner la place à la lumière, au plein air. Ce sera d'ailleurs le nom du grand tableau qu'il peint dans son atelier du quai de Bourbon. La description de l'esquisse de ce tableau dans les premières pages du roman fait aussitôt penser au Déjeuner sur l'herbe de Manet : un trou de forêt, où tombe une ondée de soleil, une femme nue couchée un bras sous la tête, en premier plan vêtu d 'un veston de velours noir et tournant le dos un monsieur s'appuyant de sa main sur l'herbe. Édouard Manet n'est pas la seule source d'inspiration de Zola pour créer Claude Lantier ; d'autres peintres prêtent leurs œuvres, leurs techniques pour le créer. En premier lieu Cézanne, l'ami d'enfance qu'il a connu au collège à Aix en Provence et qu'il retrouve à Paris où tous deux fréquentent le monde des jeunes artistes désargentés et talentueux. Le portrait physique fait de Claude dans un roman précédent, Le ventre de Paris, ressemble étrangement à un autoportrait de Paul Cézanne : c'était un garçon maigre, avec de gros os, une grosse tête, barbu, un peu courbé, agité d'un frisson d'inquiétude nerveuse. Mais les descriptions de Paris, ville fantasmée qui devient presque une figure humaine obsédante dans le roman et dont l'impuissance du peindre à la fixer sur une toile le mènera à une fin tragique, l'océan de ses toitures, les visions de l'île Saint-Louis, le jardin des Tuileries, l'enfilade des ponts sur la Seine, rappellent, elles, des toiles de Manet, de Pissarro ; parfois dans des moments où la réalité devient le thème du peintre c'est à à Caillebotte que font penser des paragraphes du roman.
Le roman appartient à la série des Rougon-Macquart, dont le sous titre est Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire, et donc met en scène des événements de cette époque, du monde artistique, de son organisation. Sous l'impulsion de Napoléon III l'année 1863 verra la création du Salon des Refusés qui expose, en marge du Salon Officiel, 1200 toiles d'artistes qui n'avaient pas été acceptées par le jury des officiels et permet donc ainsi au public de voir ces œuvres non agrées. Les deux salons se tiennent côte à côte dans les les bâtiments du Palais de l'Industrie construit en 1853 pour l'exposition universelle de 1855 et des pages savoureuses du roman vont montrer l’effroi scandalisé des visiteurs, venus voir des tableaux conventionnels, devant les nudités de ces scènes nouvelles et les moqueries qui vont accueillir Plein air, comme dans la réalité fut hué Le déjeuner sur l'herbe.
Roman d'amour, d'amitié, roman sur la création artistique, toiles de paysages ou de portraits, ombre et lumière, Émile Zola et Édouard Manet se sont rencontrés à travers les mots et les images cet après midi là dans la salle Morbihan de l'UTA.
Macau Cothenet
Isabelle Letiembre