La cause noire

Nous étions plusieurs lectrices et auditrices pour écouter, et découvrir pour certains, l'existence des sœurs Nardal et de leur rôle de pionnières dans l'éveil de la conscience noire que Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor ont théorisée sous le mot de négritude.

            Elles étaient 7 issues de la bourgeoisie noire antillaise, cultivées et musiciennes, dont l’aînée Paulette fut en 1920 la première étudiante noire sur les bancs de la Sorbonne. Rejointe par sa sœur Jane elles vont connaître un choc identitaire et culturel en découvrant à la fois une exclusion face à  l'identité française mais comprennent aussi qu'il existe une culture noire qui ne vaut pas moins que la culture occidentale dont elles ont été pétries par leur éducation très occidentale. A partir de 1928 elles tiennent un salon à Clamart où elles reçoivent les personnes issues de la diaspora noire et où se croisent artistes et intellectuels français, africains et américains pour parler actualité, politique, de leur place dans la société dans les mondes francophones et anglophones. En 1931 elles créent La revue du monde noir qui veut  être une réflexion sur l'identité noire, tisser un lien entre les Noirs du monde entier, œuvrer pour leur reconnaissance dans la civilisation universelle. Beaucoup vont trouver dans ce salon un terreau fertile pour la diffusion de leurs idées et l'éclosion de pensées révolutionnaires Paulette écrira : Césaire et Senghor ont repris les idées que nous avons brandies mais les ont exprimées avec beaucoup plus d'étincelles ; elle ajoutera un peu amère nous n'étions que des femmes. Elles écrivent aussi sur les revendications du féminisme noir dont elles sont des figures de proue. La vie des sœurs Nardal ne se résume pas cependant à leur rôle de pionnières dans le mouvement de la négritude ; elle est aussi marquée par un engagement profond et un courage face aux adversités témoignant de leur détermination à lutter pour la justice et l'égalité.

Même si Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas sont connus comme les pères de la négritude, les sœurs Nardal ont posé les bases théoriques et philosophiques de ce mouvement. Il était important que leur rôle dans cette émergence soit enfin reconnu. Ce mouvement de reconnaissance a commencé un peu tard, sans doute par misogynie mais aussi en raison des idées politiques qu’elles défendaient. Il faut attendre 2019 pour que Paris attribue le nom des deux sœurs à une promenade du 14e arrondissement.

En 2023 France Télé, à l’occasion de la Journée des femmes diffuse le documentaire « Les sœurs Nardal, les oubliées de la négritude écrit par Léa Mormin-Chauvac et Marie-Christine Gambart et en 2024 sort le livre de Léa Léa Mormin-Chauvac.

            Si leur noms sont peu connus du grand public ceux d'Aimé Césaire et de de Léopold Senghor ont illustré les scènes littéraires et politiques du XXème siècle. Leur amitié nouée sur les bancs du lycée Louis le Grand, leur collaboration, leur prise de conscience de l'inégalité sociale entre Blancs et Noirs en France, aux Antilles ou en Afrique  sont à l'origine du concept de négritude qu'ils ont théorisé

            Aimé Césaire, né en Martinique en 1913 et mort à Fort de France en 2008 fit ses études secondaires au Lycée parisien Louis le Grand., publia des recueils de poèmes, une tragédie et fonda la maison d'édition Présence Africaine qui jusqu'à ce jour promeut la richesse du monde noir. Parallèlement à sa carrière d'auteur il fut une grande figure de la vie politique antillaise, maire de Fort de France pendant 55 ans , député à l'Assemblée Nationale. Le 6 avril 2011 il fait son entrée au Panthéon avec la reprise de ses mots : nous sommes là pour dire et réclamer : laisser entrer les peuples noirs sur la grande scène de l'Histoire. Le texte qui lui apporta la gloire littéraire est Cahier d'un retour au pays natal, publié en 1939 et dont l'édition de de 1943 est préfacée par André Breton qui admirait sa poésie. Ce long poème en prose et en vers libre est tout ensemble le refus du doudouisme et de cette vision enchanteresse que les Blancs font des  Antilles dont il montre, lui, la misère ; l'affirmation que les Antillais ont été dépouillés de leur histoire venue de l'Afrique à laquelle on a substitué l'histoire du colonisateur, et surtout le récit avec des mots violents des violences et des souffrances innombrables que pendant des siècles les esclavagistes ont fait subir à ceux qu'ils ne considéraient pas comme des  hommes. L'écriture poétique faite de répétitions, d'allitérations, de métaphores est celle de l'oralité, celle des griots d'Afrique, du jaillissement envoûtant de la parole. Le je du poème est celui autobiographique de Césaire mais c'est aussi celui de tous les Martiniquais, de tous les peuples colonisés, de tous les opprimés. Le texte finit sur les vœux d'un futur glorieux pour l'homme noir, d'un futur où il sera Debout et libre.

            Nous trouvions aussi dans le salon de Clamart des sœurs Nardal Léopold Sedar Senghor,  Senghor est né au Sénégal en 1906 ; brillant élève il rejoint Paris où une bourse d'études lui permet d'entrer au Lycée Louis le Grand où il connut Aimé Césaire et Georges Pompidou à qui il dédia en 1945 le très beau Poème pour la Paix  ; Si le contenu de celui-ci évoque comme dans Cahier d'un Retour au pays natal les souffrances des esclaves, des Africains arrachés à leurs terres et la sous humanité à laquelle les réduisirent les colonisateurs la tonalité est moins violente : il est question de pardon, de réconciliation. La carrière de Senghor fut elle aussi double, littéraire et politique : publication de recueils de poésies, Chants d'ombre, Hosties noires tandis que il fut secrétaire d'état dans le cabinet d'Edgar Faure puis après l'indépendance du Sénégal en 1960 premier président de le République. Il gouvernera le pays jusqu'en 1980 et en 1983 il est le premier Africain élu à l'Académie Française. Il meurt en 2001 couvert de prix littéraires et souvent considéré comme le plus grand poète francophone du XXème siècle.

           

            Paulette Nardal et ses sœurs, femmes noires, avaient ouvert cette présentation ; nous la refermons sur quelques vers du poème de Senghor :

                        Femme nue Femme noire   

                        Vêtue de ta couleur qui est vie....

                        Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau...

                        Et ta beauté me foudroie en plein cœur comme l'éclair d'un aigle